Ubuesque vous avez dit ubuesque ?

Dans l'univers merveilleux de la langue française, le monde est rempli de synonyme. La synthaxe détestant la répéition, notre vocabulaire fait appel à ces synonymes.

C'est ainsi que l'insolite laisse parfois sa place à l'Ubuesque. Mais au fait, d'où vient ce terme ?

En 1886, Alfred Jarry écrit la pièce Ubu roi, où il imagine un personnage « le Père Ubu ». La personnalité du Père Ubu est forgée à partir de celle de Monsieur Héber, professeur de physique. Ses élèves avaient l'habitude de lui inventer des aventures rocambolesques sous le nom du P.H. (Père Hébert). Jarry a repris à son compte pour développer une figure autant tragique que comique, souvent perçue comme l'archétype des effets de l'ivresse du pouvoir sur l'homme qui se perçoit d'abord comme innocent.

Ubu est devenu proverbial, symbole du délire du pouvoir et de l'absurdité.

Le personnage d'Ubu, de son nom aux accents énigmatiques autant qu'universalisants à ses portraits par Jarry ou son adjectif dérivé « ubuesque », a fait l'objet de nombreuses reprises, à des titres variés et à des fins diverses, de par le nombre de courants ou épiphénomènes dans la contre-culture.

Les surréalistes ont à la fois redécouvert, réhabilité et célébré Jarry et ses personnages d'Ubu, Docteur Faustroll ou Emmanuel Dieu (héros et unique protagoniste de L'Amour Absolu) comme des sommets de typologie équivalents aux plus grandes figures littéraires de tous les temps.

Mais attention !

Absurde, vous avez dit absurde? Comme c’est absurde… Il est en effet assez étonnant que le terme ubuesque ait tendance à se substituer à tout bout de champ au mot absurde.

Ubu, c’est un personnage tour à tour grandiloquent (« J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens »), cruel (« Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols (…) où on les décervèlera ») et mégalo (« avec ce système, j’aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m’en irai. »).

Ubu est un personnage satirique dans la plus pure tradition rabelaisienne.

Réduire l’adjectif ubuesque à la simple notion d’absurde vous fait donc passer à côté de toutes les nuances du terme! (50 nuances d’Ubu, même, ai-je envie de dire pour paraphraser le titre d’un livre).

Allons plus loin … avez-vous déjà ententu parlé du Kafkaïen ?

Franz Kafka, 1883 – 1924

Il y a aussi un peu d’absurde dans le kafkaïen… mais pas que ! Que l’on pense à ce pauvre Gregor qui se réveille un matin avec l’apparence d’un cafard monstrueux, à ce pauvre Joseph K. qui est au centre d’un procès bien malgré lui ou à cet explorateur anonyme qui découvre au hasard de ses pérégrinations le système judiciaire très étrange d’une colonie pénitentiaire, tout cela a bien entendu une part d’absurde, c’est vrai.

Mais avant tout, c’est le côté oppressant et cauchemardesque des récits de Franz Kafka que nous retiendrons en priorité. Ainsi, la construction européenne, le fonctionnement de l’administration ou encore les ratés de Pôle Emploi n’ont rien de kafkaïens malgré certains titres racoleurs de la Presse qui le prétendent (ici ou là pour ne prendre que des exemples vieux d’à peine quelques jours). Au mieux sont-ils tout simplement absurdes et inefficaces!

Camusien, beckettien, ionescien

Si vous voulez vraiment vous démarquer, pourquoi ne pas plutôt créer vos propres termes? Camusien, beckettien, ionescien… les adjectifs issus des auteurs ayant fait de l’absurde un de leur fond de commerce sont légion.

Un peu d’originalité, What The Heck ! Que diable!